Des habitants du quartier et de la ville, Alban, Alexandre, Anina, Camille, Céline, Charifa, Christine, Chloé, Clorinda, Delphine, Élise, Fabien, Flora, Frédérick, Haciba, Héloïse, Idir, Isadora, Jalila, Joe, Kelly, Khadidja, Marina, Matthieu, Nathalie, Nicolas, Olivier, Pascal, Sarah, Thérèse, Yves, Zouhal, qu'il soient étudiants ou autodidactes, travailleurs ou chômeurs, nés français ou d'adoption, hommes et femmes de tout âge (de 17 à 65 ans...) se sont retrouver pendant neuf semaines pour monter une pièce de théâtre d'Armand Gatti, issue de la Traversée des langages, au théâtre Jean Vilar de Montpellier...

Cet atelier a réuni 25 Montpelliérains et les 6 membres de l'association Idéokilogramme. Nous avons travaillé dans le quartier Mosson-Paillade, à la Maison pour tous Léo-Grange, au centre social de la Caisse d'Allocations Familiales et dans les locaux de l'association Musique sans frontières.

Ce projet a reçu le soutien de la Ville de Montpellier, du Conseil Général de l'Hérault, du Conseil Régional Languedoc-Roussillon et de la Direction Régionale des Affaires Culturelles du Languedoc-Roussillon. Nous vous invitons à lire le dossier de présentation de l'atelier.

vendredi 9 avril 2010

Première semaine (du 15 au 21 février 2010)

Lundi, mardi, on se découvre. On ne s'est donc pas privé d'exercices d'improvisation théâtrale, de football (la pièce comporte un match avec un ballon invisible!), de chant et de voix, etc. Le matériel nécessaire au lancement de l'atelier plastique est réuni (construction du décor, des costumes, des marionnettes, réalisation sous forme de peintures et/ou de calligrammes des "Qui je suis? À qui je m'adresse?" par chacun des participants). Le Kung-fu a été introduit, au moyen d'exercices de relaxation par le Qi-gong (respiration assise, posture de l'Arbre, très lents mouvements de déplacements en équilibre, déséquilibre avec poussée à une et à deux mains, etc.) et le maniement des longs bâtons en bois (un bon mètre quatre-vingt de long!).

Événement, ce mercredi : la découverte du texte de la Traversée des langages, "La Possibilité de la symétrie virtuelle se cherchant à travers les mathématiques, selon les groupes de la dernière nuit d'Évariste Galois". Les groupes mathématiques d'Évariste Galois ont remplacé, pour nous, les personnages psychologiques. Ce sont ces abstractions, support des investigations scientifiques des héros de la Traversée des langages, qui raconteront l'histoire du résistant et philosophe des mathématiques, Jean Cavaillès, fusillé dans le Pentagone d'Arras en 1943. Les groupes chercheront à établir une "symétrie" entre ce résistant et le républicain révolutionnaire, génie des mathématiques, Évariste Galois...

Jeudi, premier auteur invité (par ses textes) pour mieux nous aventurer sur les chemins de la Traversée des langages : Francis Bailly. Ce physicien a parcouru un trajet analogue à celui de Gatti (mais en sens inverse) des mathématiques et de la physique vers la philosophie et la poésie. Il nous sera, tout au long de l'expérience, d'une grande aide pour prendre conscience des implications et enjeux de cette œuvre qui nous est, à plus d'un titre, contemporaine...

Vendredi enfin, premier essai sur la chant d'ouverture de la pièce. Le chœur se forme : qui les alto, qui les mezzo, qui les basses. Voici le "Chant du Cinq qui se répond à lui-même" :
Nous,
dont l’acte de naissance
dans les calculs des hommes
est le collisionneur
- personnages errants
des chambres de Wilson,
boîtes à bulles,
Gargamelle des centres de recherche nucléaire

Nous,
à qui les grammaires assignent
les lieux de nos rencontres
réunis les uns par les autres

Nous voici ce langage,
avec d’une part l’aube
où celui qui va être l’Inconnu n° 5
salue ses compagnons de cellule
“Adieu !
Je m’en vais chercher
une autre symétrie...”
et d’autre part l’aube
où Galois inscrit, au bas de l’équation
du cinquième degré
ax5 + bx4 + cx3 + dx2 + ex + f = 0
et de ses groupes recompilés, pendant toute la nuit
“Je n’ai plus le temps,
la symétrie expliquera tout ça”.

Et nous
par une symétrie possible
autour du poteau d’exécution d’un pentagone
où cent vingt-trois fils de la Résistance (dont l’Inconnu n° 5) inventent
à travers vous
et vous, à travers nous
leur dernier combat.

Pascal :
Le risque du groupe, son implosion ou explosion, cette accélération particulière des individus dans la boucle artificielle du jeu et de la réalité, tout s'est bien passé; c'est un joli bébé. On se regarde les uns les autres, avec aussi soi même. La salle Molière possède un grand miroir. Nous dansons chaque matin une sorte de hip hop zen, sans autre musique que les voix intérieures, les flutes de nos souffles, les cognements des pieds sur le sol. Nous rions volontiers. Nos prénoms s'échangent et se transmettent. Nous commençons des textes et des postures : Croyez-vous en Dieu ? Ça, Élise le dit très bien. Les neurones se reconnectent ; enfin nous sortons de notre coffre ; le mana se déploie et se symétrise. Le swing est cool.

Mercredi, j'arrive en retard pour la lecture ; j'ai fait un mauvais rêve. En prison, dans une cellule sans porte. Intéressant Monsieur Sigmund : la prison est dans ma mentalité, héritée des mentalités qui dans ma génétique étaient elles mêmes fermées et contraignantes. Nous recevons donc les plans de la prison, à défaut des clefs du paradis. D'ailleurs c'est davantage le calepin d'une cathédrale qui s'élèverait pour des raisons humaines. Nous sortons de nos vies rigides et sociétales. Nous avons entendu parler des mouvements de résistance, la contre-culture, chez soi ou pas très loin ; mais que savons nous d'Evariste Galois et de Jean Cavaillès. Ah oui bien sur ! Les camarades scientifiques, les grands génies ! les cousin de la magouille à Albert Einstein. Et Emmy Noether (nöter), et Van Gogh ? Et Rimbaud ? Et nous ?

La lecture est longue, le texte brut, on perd des plumes, j'aime. Ça va pouvoir le faire ; on peut dire et montrer ça. Rita la Mouette me plait un max. J'ai l'impression que mon rôle de HT1 est dans la brume (par exemple dans les landes écossaises), mais qu'en même temps il est avec les autres comme dans une veine, ou tout circule et tournoie.

Le jeudi, nous sortons les bâtons, pour performer nos danses hérétiques ; et nous évoquons le scandale pré soixantehuitard des mathématiques, quand Galois renverse la table de l'examinateur pour l'entrée en Polytechnique, trouvant le sujet un rien carrément imbécile. Les mathématiques souterraines donnent un coup de pied au cul aux bourgeois stupides qui achètent et font bâtir une architecture à 90°, à base plane et à niveau. Nous habitons tous dans un dédale. Léo Lagrange étant notre zone franche, le fameux terrain d'entente. Nous chantons, Armand est bien le seul à pouvoir me faire prier, moâ l'anarchiste. Nous chantons, Idir, Frédérick, Matthieu, Fabien, Éloïse. Le jeu est collectif, déjà je me sens mieux. OK pour un autre départ.

Yves :
Qu'est-ce qui rapproche le fermion subtil de l'inconnu numéro 5 du polygone d'Arras, le bâton long pour atteindre le ciel, le bâton court pour se retrouver, les mots pour ne pas dire ni se faire comprendre, le rouge à lèvres de l'actrice numéro 4, les filets du jeu de football qui se gonflent, une troupe éphémère en relaxation, des chants quantiques à 3 voix, un ténor qui se retrouve alto momentanément???? Peut-être la poésie d'Armand Gatti, peut-être... Prise à bras le corps par une bande d'aventurières et d'aventuriers de l'inattendu.

Clorinda :
Chers tous,
je vous écris pour vous remercier de m'avoir accueillie à bras ouverts, de vous être laissés transporter et de vous être fiés à moi.
Nous n'avons pas eu l'occasion de travailler ensemble depuis vendredi, et donc j'ai pensé vous envoyer ces quelques lignes de Grotowski (un des plus grands théoriciens et metteurs en scène qui ont révolutionné le théâtre du XXème siècle), qui avec des mots simples, parle de nous, de vous, de votre parcours et du travail que nous avons fait ensemble.
Ce n'est pas facile de s'écouter soi-même, de faire silence, et de ressentir ce qui se passe, ce qui jaillit à l'extérieur, et parfois de manière un peu violente, mais cela veut dire que nous avons entendu une voix muette depuis trop longtemps peut-être, et qui s'est frayé un chemin avec force.
Elle en avait besoin. Et si vous êtes là, cela veut dire que vous en avez besoin.
Faire du théâtre signifie livrer bataille à soi-même, se regarder en face et lutter pour s'améliorer.
Je vous souhaite une glorieuse bataille. J'espère vous revoir bientôt. Affectueusement.

"L'essence du théâtre est constituée d'une rencontre. L'individu qui accomplit un acte d'auto-pénétration établit en quelque sorte un contact avec lui-même: c'est-à-dire une confrontation extrême, sincère, disciplinée, précise et totale - non seulement une confrontation avec ses pensées, mais une confrontation susceptible d'impliquer l'intérieur de son être, depuis ses instincts et raisons inconscientes jusqu'au stade de sa conscience la plus lucide. Le théâtre est également une rencontre entre gens créatifs. Je suis metteur en scène, je viens me confronter à un acteur et l'auto-pénétration qu'il accomplit m'amène à me découvrir moi-même: ensuite, nous venons tous deux nous confronter au texte. Eh bien, nous ne sommes pas en mesure de présenter le texte de manière objective, puisque seuls les textes très faibles ne nous offrent qu'une unique possibilité d'interprétation: tous les grands textes se présentent à nous comme un abysse." Grotowski - Pour un théâtre pauvre

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